dimanche 13 avril 2014

C'est un énième retour d'I., où de nouveau j'avais 25 ans - tandis que la fréquentation des lieux de la nuit s'était nettement rajeunie, prétendis-je.

25 ans, optimiste, à considérer l'impasse empruntée avec l'Ardea non sans philosophie. Il ne peut pas, il ne peut pas. J'ai refusé de m'y laisser dissoudre. J'ai résisté. J'ai renoncé. A le rejoindre au bout du monde, où je lui proposais à demi-mots de poursuivre l'histoire. Renoncé à patienter jusqu'à ce qu'il reporte une fois de plus nos rares rendez-vous. Renoncé à l'espoir qu'il s'abandonne. A mes caresses. A mon envie d'y croire. Je me suis surveillée. Pleuré un mois à gros sanglots sans un seul signe de vie, sinon celui de lui claquer aussi la porte des espaces virtuels.

Ensuite, j'ai plongé dans le présent, comme jamais ou rarement depuis près de cinq ans.

Quelques mots adressés à un homme rencontré brièvement des mois auparavant m'ont conduite à Belleville en robe à fleurs / ellipse / rentrée au matin gris telle la parisienne que je suis devenue, la salive mêlée à l'âcreté puissante de sa jouissance, et sa mélancolie, et le goût du théâtre.

Nous ne nous sommes jamais rappelés.

Le week-end suivant me suis bercée d'illusion exotique, à l'accent chantant d'un Vénitien qui m'aura fait valser. Sa chambre à Anvers était si petite que j'y ai écopé d'un beurre noir pour des semaines. Au matin il m'a conduite chez un médecin flamand qui m'a vanté l'art pictural des cellules dégradées comme la nature d'automne. Légère et lasse comme d'un voyage provisoire, j'ai poursuivi ma fuite sans me retourner.

Aujourd'hui, cela fait un an qu'un homme alors encore marié
m'a conté fleurette dans une maison vouée à la destruction
- une affaire de transports
sur fond d'histoires édifiantes de lignes de train à Las Vegas
il est venu fêter un tournant sur une route de montagne
m'a écrit d'enthousiasme des choses sensibles sur notre rencontre
m'a embrassée la semaine suivante en descendant la butte
au Clair de Lune
puis m'a plantée quinze jours plus tard.

Exsangue retrouvée.

Un soir jeté mon dévolu sur l'Ardea
sa beauté son élégance
sa discrétion sensible

qui lorsque je pars me fait signe à la fenêtre

puis il y a eu cette balade jusqu'à Pantin dans l'été finissant
en quelques heures nous savions
sans mot dire

que le désir et l'intimité s'étaient invités
au fil de l'eau

me suis mise à l'attendre
Pénélope patiente
à tisser mon mémoire

en décembre il m'offrit
un fauteuil d'opéra
et du champagne

indécis
s'interdisant d'observer l'agonie
d'une décennie de relation
perdu dans la fuite en avant
et l'ex enceinte
et le départ en Asie
eurent raison de ses belles intentions
de sa reconnaissance
de son désir de me garder près de lui
de son admiration
et de frissons comme détachés de lui

j'en pleure encore
sa seule amie disait-il
déprimé partout sauf avec moi
qu'il n'avait pas toujours le courage de voir

ce n'était plus possible
trop gentille me reprocha-t-il
tu mérites mieux
ne te sous-estime pas

et toi
tu t'empêches d'être heureux

alors
c'est fini
fini fini

pourtant
impossible de combattre
cette absurde et insidieuse et profonde croyance
que c'est toi
mon amour
aussi loin puisses-tu partir
aussi douloureux soient tes atermoiements
aussi lâches tes discours sans suite et ton silence inconséquent
aussi conscientes mes analyses du schéma de frustration

c'est toi mon amour
à s'émouvoir d'un même mouvement
de la solitude
de la douceur du soleil
de l'aventure des voyages au long cours

toi qui as réveillé la mémoire romantique enfouie
de mes dix-sept ans
où on se croisait sans se voir
dans les couloirs

toi avec qui je me verrais bien
passer ma vie
passer des soirs de tendresse et de bonne chère à veiller nos enfants

et pourtant
la réalité
je la garde à l’œil
ton surmenage et ton retrait
ton sens de l'humour non sans rigidité
non sans principes éculés

oui mais
tu voyages
ton désastre mué en révélation
une déchirure sur la lumière

et je t'aime
- mais pour combien de temps
et saurai-je un jour vivre
une belle et durable
et réjouissante
et généreuse
et simple
et vivante












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