mardi 4 septembre 2018

Revenir ici dans la grisaille, comme dans un lieu désaffecté, un ancien chez soi, un havre délaissé.
Mais ça reste encore imprégné des rumeurs passées, qui reviennent en ce moment m'habiter, à la lecture des récits qui ravivent les rues tortueuses d'I. arpentées au temps de l'allégresse, malgré les signes évidents de danger - comme avec un amant à qui on laisse passer ses excès par passion, parce que la vie est différente et plus souple et plus gaie, avant effondrement. Qui ravivent les intrigues des nineties dans l'est, désormais lointaine adolescence que j'ai distancée en courant et vers laquelle je me retourne, vingt ans après, et c'était hier, les retours du lycée en 12 minutes à pied, les longues robes dans l'escalier, les studieuses dissertations et les intrigues amoureuses racontées par les autres ; le confinement, mais aussi les échappées le soir dans des soirées d'inconnus où juste tromper l'attente et l'ennui ; les romans sans cesse où puiser l'idéal, les clopes en cachette à la fenêtre qui donnait sur la fac de lettres, les promesses à soi-même de se tirer de là.
Non pas une nostalgie, non, mais enfin la mémoire qui revient, lasse que j'étais d'être coupée de moi-même, à refuser la mélancolie fondamentale sans laquelle n'existe nulle joie, de celles vouées à disparaître, légères mais pas futiles : insaisissables.

jeudi 30 août 2018

A l'époque ça m'aidait à vivre, j'avais trouvé ça pour mettre en scène le quotidien, pour y trouver mon compte, l'espace intermédiaire entre la vie et sa représentation, en marge et en brouillon - aujourd'hui il faudrait tout assumer sous son propre nom, or je garde une pudeur ; et à l'époque il y avait de l'interaction entre des plumes de qualité. Peut-être que c'est revenu, ou que j'ai mal cherché, mais le réel a repris le dessus, a maté sèchement les tentatives d'embellie, j'ai ramé, je rame encore ; et je me suis méfiée, j'ai voulu cesser de me la raconter.

Pourtant, c'était la meilleure période, et tout m'y ramène : il n'y a que ça à faire, construire du récit, se raconter la vie, soigner les transitions et infléchir le style.

Et si je retourne au labo, comme un inventeur, comme un photographe, comme un sportif à l'entraînement, je vais y retrouver de la souplesse et une place, y aménager la solitude, prendre de l'assurance pour accepter de défricher la poussive narration qui oppose sa résistance, depuis combien de temps je l'esquive ? Alors qu'elle se présente régulièrement dans les interstices, et je la prends comme prétexte pour renoncer aux autres voies que je n'ai pas suivies, alors que c'est la paresse, une certaine lâcheté, l'illusion formée dans une prime jeunesse désormais un peu lointaine, quelque chose comme un feu intérieur - cliché - ou comme un prisme à travers lequel on perçoit les choses par les sens, l'intuition, le désir et la conscience intelligible, la mémoire aussi ; désormais c'est en butte, depuis un bail à présent, avec l'anxiété, le sentiment d'urgence, l'impression qu'il ne faut pas traîner, un complexe face aux brillantes productions des autres - que des trucs illusoires. Les autres, jeu de passe-passe, je les invite pour les démythifier, j'en fais des amis, des collaborateurs, je prends le contrôle de leur projets en leur déroulant le tapis du voyage, louable intention qui masque une impuissance ainsi entretenue - pas dupe non plus.

Mais voilà, poussée dans mes retranchements, à enfin lâcher la rampe, pas fière, je m'y confronte, c'est trop dense, c'est dur, c'est lent, et qu'est-ce que ça m'apporte ?

Rien.

Rien d'autres que l'entretien du regard.

Rien d'autre que ma juste place parce que clairement, les enthousiasmes éphémères, sans cesse renouvelés, je ne les renie pas, je les nourrirai même, me servent d'écran de fumée.

J'ai beau la camoufler, une trappe sous le tapis, ça usine en sourdine.

J'ai quelque chose à dire - il paraît

Qu'est-ce que c'est ? Mes thèmes d'auteur, a asséné cet homme, trop exalté, pour qui je me suis quelque temps prise de passion, feu de paille, attentive à la chute.
Mes thèmes d'auteur, non, pas exactement ça non plus.

Plutôt cette faille où s'engouffrent et se confondent les lieux et les moments : une errance ; et ses effets sur la psyché ; fuite et vacuité, mais sans misérabilisme, plutôt des tentatives de définition de soi, des relations. Et le paradoxe veut que l'approbation collective vienne à l'appui d'une telle recherche, que ça ne reste pas lettre morte.

Pourtant, c'est pas grave, ça peut rester confidentiel après tout. Se faire encore la main, jusqu'à éventuel écho. On sait bien que si c'est trop facile, ça n'en est pas moins souvent creux.

Impossible de baisser les exigences, et les pires viennent de soi.

Pourtant, si je m'en arrangeais un peu - et pas seulement dans ce domaine - tout serait plus fluide, dans la grâce du temps perdu retrouvé.

Et ici, où je reviendrais, je pourrais à nouveau parler
de la grisaille fondamentale qui noie le jour dans une saison suspendue
des voix étrangères sur le seuil, une clé tombée comme dans un film
du dernier dîner sur l'herbe demain soir, pour saluer mon plus ancien ami, pas vu depuis des années

Je pourrais à nouveau me couler dans l'instant même
A ma manière contournée
D'observatrice bavarde
A canaliser la pensée sur ce qui surgit
Pour ne pas basculer dans la bulle asphyxiante
Matrice étouffante en guise de protection

J'ai bien compris le mécanisme
Mais j'ai encore du mal avec l'exercice

mardi 14 août 2018

Revenir ici trois ans plus tard

Dans l'espace verbal intermédiaire

Etrange

Dans l'espace verbal intime extériorisé

Comme sur le pont de la maison-bateau de mes rêves

Lieu, topos sans ancrage, où le texte, déroulé d'un trait, prend corps immédiatement

A l'abri des autres

Bouteille à la mer des données chiffrées

Invisible encore

Peut-être parce que la rencontre de juillet, qui a ranimé mes espoirs
pour, en deux-trois temps, les décevoir

n'est pas sans lien avec cet espace-là

ses injonctions à écrire (aussi péremptoires soient-elles)
et sa ressemblance troublante avec ce personnage admiré mais invivable de ma propre prose
(énième avatar)
me renvoient dans mes cordes

je veux bien avoir ça à faire
aussi âpre soit la contrainte
sur fond d'insatisfaction de vacances en demi-teintes
de découragement face au temps et aux amours qui filent, instables, jamais fixées

je veux bien avoir ça à faire mais aucun miracle en vue
je veux bien avoir ça à faire puisque toute ambition stagne, comme si, velléitaire, malgré les projets disparates, je ne bougeais pas d'un pouce tandis que le temps file

au moins il y aurait des pages tangibles posées en cours de route comme les cailloux du conte
en serais-je moins flottante
peut-être que oui après tout
la dernière fois il s'est passé des trucs

pas tout ce que j'espérais mais quand même

et si je veux donner sens à cette rencontre
qui me fait pleurer de regret, d'émotion
tentative tuée dans l’œuf sans doute à juste titre
(versatile, impulsif, pontifiant et ne supportant guère la contradiction - pourtant viscéralement implantée - un être aussi sensuel, doux, vigoureux, au caractère trempé, sujet aux grâces de la lumière, de la matière, de tous les destins qu'il documente, comment pourrait-il m'accompagner ?)
je ne peux qu'avancer

et même si je ne veux pas lui donner plus de sens que ça
(puisque les mouvements de balancier auxquels je suis soumise ne me concernent pas)
avancer quand même

peu à peu
péniblement sans doute
n'y croyant pas toujours
alors que j'aspire continuellement à la gaîté
me dérobant ainsi peut-être
à d'autres efforts en valant la chandelle
mais essuyant tant de revers à ce jeu-là
que ça en devient absurde

lundi 19 janvier 2015

La chute a été lente -

freinée

Maintenir toutes les habitudes à leur rythme normal
Surtout ne pas fléchir
Aller au yoga
Aller à la danse
Aller travailler

L'épuisement est venu progressivement
de lire tant d'articles et de parler des heures 
voix presque perdue
des heures ressasser ce ce que déjà je dis depuis toujours
république liberté droits de l'homme dans un monde sans dieu
sens critique volonté pensée élaborée

parfois absorbée j'oublie
j'oublie qu'ils sont morts abattus dans un bureau feutré d'une rue parisienne

j'oublie aussi
qu'on peut quitter les lieux et vivre ailleurs qu'imprégnés par le drame
et c'est lui qui me rend encore plus proches, insupportables 
les meurtres 
innombrables et cruels
l'injustice effroyable
sans limite
ce monde aux barbaries perpétuelles

et la seule lutte contre le chaos accablant
c'est la perte de conscience
l'insouciance
provisoires
non pas le déni non
mais vivre sinon quoi

l'épuisement nous gagne
il y a des accidents

je suis toujours la même
je suis secouée mais
je suis secouée mais la même
la même encore j'espère
qu'est-ce que ça change

"On s'habitue vite à la paix. Alors on croit que c'est normal. Non, ce qui est normal, c'est la guerre." Albert Camus, Le premier homme.

dimanche 13 avril 2014

C'est un énième retour d'I., où de nouveau j'avais 25 ans - tandis que la fréquentation des lieux de la nuit s'était nettement rajeunie, prétendis-je.

25 ans, optimiste, à considérer l'impasse empruntée avec l'Ardea non sans philosophie. Il ne peut pas, il ne peut pas. J'ai refusé de m'y laisser dissoudre. J'ai résisté. J'ai renoncé. A le rejoindre au bout du monde, où je lui proposais à demi-mots de poursuivre l'histoire. Renoncé à patienter jusqu'à ce qu'il reporte une fois de plus nos rares rendez-vous. Renoncé à l'espoir qu'il s'abandonne. A mes caresses. A mon envie d'y croire. Je me suis surveillée. Pleuré un mois à gros sanglots sans un seul signe de vie, sinon celui de lui claquer aussi la porte des espaces virtuels.

Ensuite, j'ai plongé dans le présent, comme jamais ou rarement depuis près de cinq ans.

Quelques mots adressés à un homme rencontré brièvement des mois auparavant m'ont conduite à Belleville en robe à fleurs / ellipse / rentrée au matin gris telle la parisienne que je suis devenue, la salive mêlée à l'âcreté puissante de sa jouissance, et sa mélancolie, et le goût du théâtre.

Nous ne nous sommes jamais rappelés.

Le week-end suivant me suis bercée d'illusion exotique, à l'accent chantant d'un Vénitien qui m'aura fait valser. Sa chambre à Anvers était si petite que j'y ai écopé d'un beurre noir pour des semaines. Au matin il m'a conduite chez un médecin flamand qui m'a vanté l'art pictural des cellules dégradées comme la nature d'automne. Légère et lasse comme d'un voyage provisoire, j'ai poursuivi ma fuite sans me retourner.

Aujourd'hui, cela fait un an qu'un homme alors encore marié
m'a conté fleurette dans une maison vouée à la destruction
- une affaire de transports
sur fond d'histoires édifiantes de lignes de train à Las Vegas
il est venu fêter un tournant sur une route de montagne
m'a écrit d'enthousiasme des choses sensibles sur notre rencontre
m'a embrassée la semaine suivante en descendant la butte
au Clair de Lune
puis m'a plantée quinze jours plus tard.

Exsangue retrouvée.

Un soir jeté mon dévolu sur l'Ardea
sa beauté son élégance
sa discrétion sensible

qui lorsque je pars me fait signe à la fenêtre

puis il y a eu cette balade jusqu'à Pantin dans l'été finissant
en quelques heures nous savions
sans mot dire

que le désir et l'intimité s'étaient invités
au fil de l'eau

me suis mise à l'attendre
Pénélope patiente
à tisser mon mémoire

en décembre il m'offrit
un fauteuil d'opéra
et du champagne

indécis
s'interdisant d'observer l'agonie
d'une décennie de relation
perdu dans la fuite en avant
et l'ex enceinte
et le départ en Asie
eurent raison de ses belles intentions
de sa reconnaissance
de son désir de me garder près de lui
de son admiration
et de frissons comme détachés de lui

j'en pleure encore
sa seule amie disait-il
déprimé partout sauf avec moi
qu'il n'avait pas toujours le courage de voir

ce n'était plus possible
trop gentille me reprocha-t-il
tu mérites mieux
ne te sous-estime pas

et toi
tu t'empêches d'être heureux

alors
c'est fini
fini fini

pourtant
impossible de combattre
cette absurde et insidieuse et profonde croyance
que c'est toi
mon amour
aussi loin puisses-tu partir
aussi douloureux soient tes atermoiements
aussi lâches tes discours sans suite et ton silence inconséquent
aussi conscientes mes analyses du schéma de frustration

c'est toi mon amour
à s'émouvoir d'un même mouvement
de la solitude
de la douceur du soleil
de l'aventure des voyages au long cours

toi qui as réveillé la mémoire romantique enfouie
de mes dix-sept ans
où on se croisait sans se voir
dans les couloirs

toi avec qui je me verrais bien
passer ma vie
passer des soirs de tendresse et de bonne chère à veiller nos enfants

et pourtant
la réalité
je la garde à l’œil
ton surmenage et ton retrait
ton sens de l'humour non sans rigidité
non sans principes éculés

oui mais
tu voyages
ton désastre mué en révélation
une déchirure sur la lumière

et je t'aime
- mais pour combien de temps
et saurai-je un jour vivre
une belle et durable
et réjouissante
et généreuse
et simple
et vivante












lundi 20 janvier 2014

Gravité
L'ouïe et l'air
vibratile

j'ai retrouvé ton ombre bienveillante
tutélaire

N'être pas seule mais dans tes pas
dans l'atmosphère dans l'onde 
venir au monde
aqueux 
agrégat
cellulaire

ombre noueuse noyée
disparue
déployée
intérieure
dressée

même si tu meurs 
ma mémoire
reste un habitacle pour toi
une trace dans la lumière
de l’été provençal
où plane encore ta voix
dissoute dans l’espace circulaire
confondue avec la mer
répandue
aux quatre vents
organiques
envolée d’une fenêtre atmosphérique
je t’emporte avec moi

les ténèbres et la lumière
séparés
et des eaux
et des cieux
des sommets
d’où dérive
entre les joncs
un couffin
libéré
de ses jougs
inondés
naître et renaître à la fois
venir à la pensée
sans distinguer
l’air de l’ombre
l’eau du corps
ni la poussée du cri
inaugural
ni l’inertie de la vie
minérale

poisson plongé solaire
au sein des sillons par salves
où peu à peu s’assoupit la lueur

mercredi 15 janvier 2014

Gravité

Gravité voix de l'âme j'ai le sang qui bouillonne

La présence sans lumière
inerte
dérobée
le corps en vie à terre

bourdonne
en silence
je te suis diffractée

main tendue vers mon ombre
mon prochain
tout ce qui nous entoure

la formation du corps
l'histoire du corps

non pas seul
en tension
goutte à goutte fragmentée
dans ton trouble reflet

une flaque un océan
ou des rues inondées

je traverse

suspendue
aux nuées
un autre territoire
ton sentier escarpé
l'atmosphère chargée d'eau
qui m'égare vers toi

où végéter encore
en cellules palpitantes
aspirées
ondoyantes
circulaires
je ne suis plus qu'un corps

à Hanoï ou ici
fondue dans le décor
un instant une naissance
on peut mourir ici
surplombé par une ombre

l'ennui noyé
l'espoir

une fuite ou un essor
une chute
si longue qu'on dirait
une tension, un effort

sans boussole
non sans désir
de vaciller encore
de s'y faire croire
de se bercer d'espoir
d'enfance
ou d'avenir
ou de présence intense
d'étrangeté
de substance

sans tête
hémisphère inversé
le temps coule à rebours
à l'opposé du globe

je pourrais être ailleurs
mais clouée, fascinée
je te regarde perdre tes traits
dissous dans l'eau stagnante

où vibre la peau moirée
qui sinue à peine
reptilienne
me renvoie à moi-même
à ma discontinuité
à mon incohérence
épuisée
de fantasmes
d'amours invisibles
échappés
étreints dans un écran
projetés au bout du monde
ou maintenus au sol
sans illusion
sans aucun poids
sans histoire

vais-je encore m'abandonner ?
et suis-je encore vivante ?