dimanche 30 août 2009

4. 08. 06

I.
Les Marlboro de la nuit. Tu vas les acheter un peu loin à 6 euros 50 histoire de traîner la tristesse sur les trottoirs allumés de Belleville le soir. Vendredi. On plaque des soirées sur les emplois du temps pour pas sombrer.

Marcher la nuit. Comme en 96 où il m’arrivait d’aller fumer – mais c’était si rare – sur le boulevard désert. On dit « je » mais c’est un leurre. Un truc que tout le monde devrait bien savoir à présent. Depuis des siècles qu’on se tue à le répéter. Un leurre comme les soirées plaquées sur les emplois du temps et les apéros qui soulagent, comme baiser fugitivement avec un inconnu. Ca aide tout juste à affronter la tristesse contre laquelle tu luttes depuis dix ans.

Depuis dix ans.

Oui mais tu luttes contre elle parce que tu la connais. Tu l’as connue parce que tu as connu le bonheur, fût-il furtif.
Se retrouver seule avec la douleur, comme tu as pu te retrouver avec le bonheur, endormie avec le bonheur, réveillée avec le bonheur.
Dans le désir allumé le long des jambes, le long du dos, de cet homme chaque soir contre toi. C’était pas si légitime après tout. C’était bien.
Dans les cascades des rires d’amitié un peu saoule.

C’était le bonheur, la vie qui file et les levers de soleil sur les toits, nuit blanche de cuite, ou prise de sommeil dans les bras de l’aimé, nuit solitaire sereine de 2002 à Toulouse après l’absence, revenue de l’ailleurs douloureux, revenue de loin, d’un hiver austral de juillet où j’engouffrais des pleurs dans les toilettes entre deux heures de taf.

Lourde Namibie de désert et d’animaux
Il me semble, paradoxal manque, que j’ai laissé un bout de moi là-bas
Rien de concret
Rien de tangible
C’était proche et le bout du monde.
La parenthèse insensée.
Comme si la réalisation des plus beaux rêves, l’utopie de l’Ailleurs ou du lointain consistait à ouvrir la porte sur un jour banal, dont on rêve bien plus tard comme d’une clé des champs perdue…
Grise Windhoek ensoleillée
Windhoek de sable et de vent bétonnée
Figée dans une pause crispée
Au sourire impossible
Qui m’a conduite à Rome à Naples à Pompéi
Où j’ai perdu retrouvé
Un amour de ma vie

En dix ans j’ai connu les départs et l’amour, le plaisir d’apprendre et l’errance.

J’ai connu des rades et des endroits parmi les plus beaux du monde – des dunes, des canyons, des lacs, des éléphants, le détroit du Bosphore. J’ai connu la profonde amitié, les larmes auprès des aimés, les réflexions intenses. L’alcool et les nuits de danse. La souplesse du corps. L’envie et la satisfaction. Paris et d’autres pays. Jamais la misère. Je n’ai jamais connu la misère. L’angoisse, le stress, la réussite. Les rencontres souriantes. Les pique-nique au bord de l’eau. Le vin, les meilleurs repas. Les luttes et les renoncements. Les recommencements. Les initiatives. L’amour fou. La mer.

J’ai tout à vivre encore. Sur le chemin des possibles, des expériences plus belles encore, apaisées.
Je ne sais pas – peut-être jamais apaisées. Mais des expériences : oui.
Je suis vivante.

J’ai dormi sur des plages, j’ai pris le bus de nuit, j’ai pris l’avion longue distance, connu des endroits inquiétants et des verres d’un soir. Des décisions brutales et de longues tergiversations. Des gamins bordéliques avec le regard vide ou le goût d’apprendre dans les yeux. La culture, la musique, tant de livres.
Tout ce que j’ai voulu.
Tout ce dont j’ai rêvé à la fenêtre du désarroi en 96, je l’ai connu. Et même au-delà. Les prises de bec, les prises de conscience, les prises de risque, les émotions. Les espoirs renouvelés. L’expression. Alors si je suis triste – je suis triste – ça va bien finir par passer, bien finir par se dissoudre, se dissiper, et pas seulement dans une nuit avec une grande tablée.

Ou alors si. C’est peut-être le seul truc. Les nuits aux grandes tablées. Clope. Rideau.


II.
Cette année, j’ai connu des hommes, qui m’ont embrassée, à Paris, à Istanbul.

De jour en jour je débusque les désaveux de mes croyances. Ou plutôt, disons, de mes intentions. Moi qui aime faire l'amour, qui aime voir les hommes jouir, leur douceur et leur force qui s'enfuit d'un coup, leurs yeux fermés et leurs corps en suspens et tous leurs baisers palpitant du désir assouvi sur ta peau juste après. Moi qui aime faire l'amour et qui erre si nul homme ne me serre contre lui, calé contre mon dos dans la nuit, un bras autour de moi pour me dire pour me dire pour me dire je suis là. Moi qui aime les hommes et qui n'en voudrait qu'un. Celui-là n'existe pas. D'où mon doute, mon angoisse mon errance. Est-ce que je me trompe sur la nature – fût-elle acquise – des hommes ? Ou de l'amour aujourd'hui ? Ou est-ce que je vis une duplicité personnelle, à m'amouracher des hommes qui fuient, des libres, des infidèles... des immatures ?



III.
Cette année j’ai suivi les amies qui m’ont éclairée et aimée. D’autres ont pris sans s’attarder. J’ai vécu auprès d’une petite fille accaparante, avec sa béance et sa force. J’ai vécu des soirées tamisées que j’aurais pu zapper. Des bars sombres aux sonorités assourdissantes. Des musiciens. Des types avec une passion dans le souffle et les doigts. J’ai aimé un homme qui aurait mais qui. Un autre qui ne sait pas comment aller vers ses rêves. Ses rêves si valeureux que je les ai longtemps crus réels.
Des cafés noirs dans les bars. Des cafés dont le marc dessine un avenir sinueux dans la tasse. Des speeds. Des retards. Des attentes. Des heures d’attente. Des impatiences. Des bateaux sur le Bosphore.

La vie je t’aime. Salope. Des peurs. (Je n’ai jamais connu la guerre pourtant. Ni la maladie. Ou par hasard. En passant.)

J’ai des mots à vous donner, à vous les hommes que j’ai aimés. J’aimerai encore et j’aime violemment. Eperdument. J’aime à tout donner. A tout jeter sur la table mais je le contiens parce que les hommes. Les hommes. J’aime les hommes comme je n’aurais jamais cru.
Etre belle. Pas toujours. Le corps las et gênant. S’épiler. Grossir. Délaisser. Traîner en pantoufles. Se donner du plaisir. Trop y croire et avoir peur d’y croire. Culpabiliser. Traîner dans les librairies pendant des heures. Essayer des fringues. Inventer des histoires. Mentir mais pas tellement. Rêver, projeter, fantasmer. Déambuler, humer l’odeur des trottoirs et l’air des forêts l’automne. Espérer des mails et des coups de fil. Indéfiniment. Parler des heures au téléphone. Penser à filer une adresse et un code. Se faire prendre contre un mur. Les parfums. J’ai travaillé. Rouge à lèvre. Allure. Adulte. Vendre, acheter, enseigner. Enregistrer. Partager.
J’ai connu l’enthousiasme. Les sommeils. Le mal de dos. Les tristesses des autres. Eux que j’ai invités à s’épancher, j’ai recueilli leurs confidences comme un don naturel sans m’en apercevoir. Parce que moi-même je parle je parle je parle. Parler pour l’incandescence, se livrer pour s’oublier. En roue libre, des heures, fous-rires, communion. La liberté, la souffrance, refusé les carcans. Me soumettre. Jouer aux cartes. Joué. Cloper.
Chaque clope à cramer un espoir.

IV.
Quand je vais partir de Paris – je vais partir – j’aurai peut-être exhumé et enterré aussi. Pas tout. Il est 23 heures. C’est une heure tangible pour céder au sommeil. Mon meilleur ami revient demain matin. Ici je ne bosse pas mais je suis un peu la seule. C’est bizarre, mais c’est sûrement nécessaire pour n’avoir rien à faire. Pour ne pas pouvoir me fuir. Pour être seule à seule. Ca fait chier mais. Perdre mon temps consacré à tant d’autres diversions.

J’ai été à l’aise. J’ai aimé voir défiler des paysages à la vitre des trains et des bus avec l’esprit en balade. Aimé fumé des clopes en souriant à la fenêtre étoilée. Dansé des mazurkas jusqu’à l’aurore dans la saoûlitude. Lu des textes de mains amies. Ecouté. J’ai aimé vivre et j’aime toujours. J’ai pleuré, j’ai tant pleuré et ri. Trouvé des associations d’idées inédites. J’ai aimé me lever, m’arracher à la torpeur et goûter au matin. Aimé regarder de belles personnes. Aimé embrasser des nuques et savourer les baisers entre vos lèvres. J’ai aimé aimer et ça m’habite toujours, fort. J’ai pleuré d’impuissance et d’ennui, de frustration, d’humiliation, de regret, d’abandon, de dépit et d’incompréhension. De bouleversement. J’ai pleuré si souvent dans ses bras. J’ai aimé qu’on me caresse. J’ai aimé rester longtemps sous l’eau chaude. Regarder mes jambes et mes pieds bronzés de haut. J’ai jamais vraiment aimé ces cuisses-là.

J’ai aimé réaliser mes rêves.

Je vais me coucher. Toujours un peu à la limite. Quand ça suffit. J’ai aimé marcher dans la rue pour retrouver un amoureux. Répondre au téléphone quand c’était son nom. Tout ce sel-là. Et que ça recommence. Que ça continue. J’ai aimé aller à la rencontre de mes amis. Et chanter aussi. L’odeur du bois. Les jours sans lendemain. Imaginer ce qui suivra. J’ai aimé rêver être enceinte. J’ai aimé rêver de sexe et me faire réveiller au beau milieu du rêve par l’homme qui me faisait l’amour. J’ai aimé caresser leurs corps et les regarder jouir et gémir dans leurs bras. Leurs regards de cristal voilé. Leurs épaules suspendues au grand frisson.
Prendre dans mes bras les femmes avouées vaincues. Les voix, vos bouches et vos regards.
Les hammams. Les restaus. Les salles de classe. Les salles de spectacle dans le silence feutré. Les salles de ciné. Les trottoirs et les bords de la Seine. Les bords de mer et les bords du monde. Les efforts impossibles. Les respirations. Les pauses. Les mains. Les encore.

1 commentaire:

mb a dit…

là tout de suite, j'ai aimé ta beauté et te lire...