dimanche 9 mai 2010

Suis arrivée la veille de nuit. Biscotte tout endormi est descendu m'ouvrir, dans son escalier la lumière s'allume et s'éteint alternativement, modernité déglinguée au milieu du quartier chaotique, il habite au-dessus du DTP, derrière Euro plazza, et ça le taxi à une heure du mat' j'arrivais plus à lui expliquer, il a fait deux trois rues et je lui répétais : mais laissez-moi ici, c'est bon je connais l'adresse.

Toujours ce trajet depuis l'aéroport comme entrée en matière familière, ça pourrait être n'importe quelle ville du monde la nuit, fantomatique, les hôtels, les grosses boîtes, Mac Do, Mobilya, les buildings sur la route.

Mais aux remparts ça devient cette ville-là, promesse de liesse et de vestiges.

Il pleuvait, mais alors.

J'allais pas rester, lendemain à 18h00 de l'autre continent décoller pour le Sud. Plage, lecture, l'édentée et sa mère, un an que je les avais pas vues ces deux-là. Une fois la fille couchée, avec la mère on allait se ménager une petite bulle rien qu'à nous où poursuivre l'histoire complice entre deux gorgées de whisky.

Il fallait, j'avais calculé, partir deux heures avant de la grande place. D'une rive à l'autre, l'enregistrement, et hop. Pris le temps d'un déjeuner avec la brune rieuse. Retrouvé, pour écrire, la lumière sous la verrière où j'ai quitté le garçon sauvage il y a trois ans.

Devant la navette sous le ciel maussade, le vieil émacié qui la conduit me dit, souriant de la moitié de ses dents, qu'il va falloir une heure et demie, trafic sur le pont.
Ah mais ça va pas du tout, c'est pas comme ça que je me la jouais, l'histoire. Vous êtes sûr ? Et mon avion ? dit la touriste dépitée - mais le chauffeur, fataliste, sagement souriant secoue la tête.

Bon.

Je ne suis pas là depuis vingt-quatre heures, je ne sais plus ce que c'est un destin déjà écrit.
Derrière il y a la file des taxis, jaunes.

Toute personne qui met les pieds ici a son histoire de taxi ; voici la mienne.

Je me souvenais de la mésaventure de Dina, trente minutes chrono entre les deux aéroports à quatre du mat', elle en avait oublié sa peur des avions après la course folle, le mec exultait, l'aiguille collée au max du compteur, faiblement elle avait protesté, mais c'est pas grave en fait si je rate l'avion, si on ralentissait un tout petit peu ?

J'y vais : bonjour, combien de temps pour l'aéroport d'en face ?
Ils sont quatre ou cinq, j'ai touché leur sens de l'honneur viril : 45 minutes. Attendez les gars, le chauffeur de la navette il parle d'une heure et demie, je tiens à la vie quand même. 45 minutes, vous allez voir, nous on slalome me montrent-ils d'un geste convaincant de la main.

J'ai pas vraiment le choix, et c'est combien ? Ah, le double du prix du vol, quoi. Allez, ok.

Le premier, rondouillet, j'aurais dû me méfier de son regard mouillé. Il me fait monter à l'avant. J'ai plus les codes, décidément.


Engageant, il entame la série habituelle : Et vous parlez bien, et comment vous avez appris la langue, et vous faîtes quoi ici ? ça roule.


C'est seulement à l'entrée du pont que la vague intuition se confirme. Je dis pas, s'il se tortille, c'est peut-être pour se caler plus confortablement. Mais quand même il est pas obligé de laisser sa main là. Là où un geste bref suffit au plus inélégant pour se rajuster.


Il se caresse.


Par dessus le jean.


Qu'est-ce que je fais.


C'est un truc qui monte aux oreilles, la surprise, l'énergie qui se rassemble pour réagir, un bouillonnement mécontent. Je n'ai pas peur. Prête à bondir hors de l'habitacle, à cogner, à gueuler.


Et je m’aperçois que c'est l'entrée du pont, piétons interdits, c'est la merde.

Je bouge pas : mon avion, bordel !

Voyons ce qui se passe d'ici l'autre côté.

La circulation est ralentie, mais pas bloquée - t'imagines, le traquenard !-


D’un coup, sans que j'aie anticipé ma réplique et le regard droit devant moi, sèchement je lui balance : arrête ça.

Son Quoi ? d'étonnement trahit le gamin qu'il est, pris en faute.

"C'est pour me concentrer sur la route"

je crois comprendre qu'il me dit

je lève les sourcils d'autorité : ici, lever les sourcils, ça veut dire non, genre je veux rien savoir.

Il est tout confus.

Je suis contrariée, vigilante.

Il arrête ça.

Il ne sait plus quoi faire de ses mains.

Le trouble a surgi, c’est fou cette désinhibition, peut-être parce que je suis l’étrangère, ou alors parce qu’aux petits garçons on ne leur apprend pas à se contrôler, ils sont des hommes une fois qu’ils sont allés aux putes, leur mère est fière, les filles par contre avant le mariage tu n’y penses pas. Et voile ta femme. Les étrangères par contre elles sont pas farouches on sait bien.


Une fois un type qui nous conduisait vers un chalet qu’on n’a jamais atteint à cause de la neige avait proposé un hamam à trois, un deal qu’il soumettait à mon mec sous couvert de bon moment tranquille, comme il aurait proposé un restau, un café.


Non mais je veux pas faire de généralité, pendant toutes ces années je suis rentrée à point d’heure traversant toute la ville comme ma poche. D'ailleurs, se faire désirer cash comme ça, c’est négociable. T’as pas une mère ? T’as pas une sœur ? Ça fait partie des phrases à apprendre dès le début. Et puis ainsi : juste exister. Érotiquement. Le sex appeal n’est pas enfoui loin sous les couches de bienséance que les regards bien élevés des Européens t’aménagent. Les fantasmes traînent dans l’air comme des histoires non advenues, des rêves inachevés par la fatalité.


A cinq heures piles on y est. Il en peut plus de fierté. Regarde ça ! Je te l’avais pas dit ! Une heure pile. Une heure, connard, et il va falloir qu’en plus je te paye. Je lâche les billets un à un, de mauvaise grâce, en plus dans la précipitation j’avais compris 75, et c’est 85.


Et comme d’habitude dans les aéroports tu as trois fois trop de temps à tuer, alors tant pis j’en rigole : ma première aventure du séjour, ça y est ça commence. Bienvenue en Orient.

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